Mâcon la Maladroite ?

, par La Rédaction

Quand l’opposition municipale élue n’est écoutée que par ses aficionados, quand la presse locale est timide à la critique, à l’analyse, quand elle ne prend pas le temps d’étudier les dossiers, que reste-t-il ? Peut-on croire en une voie non partisane pour observer la politique mâconnaise aujourd’hui ? Il existe des écrits indépendants, encore faut-il y avoir accès, encore faut-il des intermédiaires pour en parler.

Le numéro 7 au format PDF :

Si la Ville de Mâcon parvient à imposer sa vision des choses, il reste en France des garde-fous, encore faut-il que la population les connaisse et les intègre. Régulièrement des instances indépendantes, non partisanes, observent les villes et expriment des avis argumentés, sans parti pris, sur leur politique. Par trois fois dernièrement, différentes instances ont ainsi émis des avis sur la majorité politique mâconnaise, et ce n’est pas glorieux pour elle. Que ce soit la Chambre régionale des comptes ou les deux commissions qui ont étudié récemment le plan local d’urbanisme, nous avons là des documents précieux pour comprendre la politique que mène la majorité pour Mâcon.

Cela vaut la peine de les observer de près, afin de mieux comprendre les difficultés actuelles et d’en tirer des leçons pour l’avenir de la ville.

Une gestion maladroite des finances

En juin 2022, la Chambre régionale des comptes de Bourgogne-Franche-Comté a rendu son rapport définitif sur les exercices financiers de Mâcon, pour la période de 2015 à 2021 [1]. Sans surprise, le maire de Mâcon s’est félicité de ce rapport, et le Journal de Saône-et-Loire a repris alors en titre l’idée que Mâcon était « bonne élève », comme si l’expression venait de la Chambre des comptes [2], ce qui n’est pas le cas La revue municipale, en septembre 2022, verse dans la propagande en parlant d’un « rapport élogieux ». Ce n’est pas le cas mais cela permet ainsi à Jean-Patrick Courtois d’imposer sa propre vision.

Pourtant, le rapport initial de la Chambre des comptes reproche un manque de fiabilité et de sincérité dans les informations produites par la commune. Si le rapport définitif note des améliorations, le principal reproche reste le même : une piètre prévision des dépenses. En somme, la ville gère mal son budget prévisionnel, et la Chambre des comptes estime que l’information devrait être plus lisible pour les élus et pour les citoyens. C’est notamment sur la collecte de l’impôt foncier que le sujet s’avère délicat, avec un taux qui n’est pas forcément légitime. Ainsi « la chambre invite la commune de Mâcon à s’interroger sur le niveau de sa fiscalité et/ou de sa politique de tarification, ainsi que sur la nécessité de son recours à l’emprunt ». Cela fait beaucoup !

Si le taux de cet impôt reste faible par rapport à d’autres villes de même taille, on constate que l’excédent budgétaire est important. La situation financière est saine, et ce serait un comble qu’il en soit autrement, plus qu’à Chalon par exemple où le taux d’endettement paraît excessif selon la même Chambre des comptes. Mais on constate à Mâcon que l’impôt collecté est thésaurisé, sans assurer les dépenses que la ville pourrait engager.

On sait pourtant les besoins qui ne manquent pas, en fonctionnement comme en investissement, pour l’amélioration des réseaux, tous confondus (transports, fluides, eaux usées...), ou encore pour la mise en place d’une politique culturelle. Mâcon maladroite ? On parle bien de fonds de roulement, c’est-à-dire de l’argent disponible, qui atteignent « des niveaux pléthoriques », selon la Chambre des comptes, en décembre 2020. Mâcon bonne élève ?

On le sait, la commande publique doit répondre à des règles de mise en concurrence. Pourtant la ville de Mâcon s’en passe régulièrement. La Chambre des comptes précise que cela concerne le recours à des traiteurs, des contrats auprès d’une société d’agents de sécurité, des fournitures pour le centre équestre, avec des achats qui supposent bien une mise en concurrence, non effectuée… Mâcon bonne élève, vraiment ? Pour l’acquisition de caméras de vidéo-surveillance, autre exemple, plusieurs commandes ont été effectuées, toujours auprès du même prestataire, hors marché, pour des sommes pourtant conséquentes, près de 100 000 euros. La ville de Mâcon se défend en prétextant l’urgence de ces achats, dans un cas, ou par le temps trop long à rédiger le cahier des charges, dans un autre cas. Sont-ce des raisons légitimes pour ne pas respecter les règles ? On peut en douter. Et sans doute fut-il nécessaire que la Chambre des comptes passe par ce rappel à la loi pour que la ville de Mâcon régularise la situation.

Il y a toutefois des éléments positifs, dans ce rapport. On constate ainsi le volontarisme pour la redynamisation du centre-ville, mais sans bilan possible encore, à première vue sans effets particulièrement probants pour les commerces. De même on observe les efforts pour l’attrait touristique prévu par la Cité des vins et des climats de Bourgogne, ou pour l’attrait économique avec la Saône Digitale. On note que la crise sanitaire n’a pas eu d’impact négatif sur les finances de la ville, sans pour autant que cela justifie une telle épargne. Le rapport salue aussi la gestion de la masse salariale des ressources humaines de la ville.

Le maire de Mâcon sait se féliciter de ces bons points, mais il sait aussi louvoyer sur ce qu’on lui reproche. Si le Journal de Saône-et-Loire le soutient en qualifiant sa gestion de celle de « bon père de famille de la majorité », cette gestion reste toutefois peu efficace, et la Chambre des comptes le souligne bien.

Une écoute maladroite des experts !

Avant la révision du Plan local d’urbanisme (PLU), il y a eu, depuis 2007, cinq modifications du PLU existant. L’avis des commissaires, indépendants, sur la dernière modification, était favorable, en avril 2022, avec toutefois des observations sur chacun des projets de la Ville de Mâcon [3].

1. Concernant la centrale photovoltaïque sur le site de la Grisière, sujet de notre premier numéro du 15 mars 2021 [4], centrale prévue en 2024 ou 2025, le commissaire ne voit pas d’inconvénient à l’implantation sur l’ancienne déchetterie, mais il estime que l’ajout d’un hectare de terrain aux 4,5 hectares prévus n’est pas justifié. Cet ajout est demandé par la Société Monégasque de l’Electricité et du Gaz (SMEG), qui est en charge du projet, cela concerne une zone humide à valeur environnementale. Cet ajout de superficie alors que les partenaires, dont la MRAe [5], entre autres, se sont prononcés sur 4,5 hectares, peut être considéré comme peu sérieux. En attente de l’étude d’impact, non réalisée à ce jour, le rapport de la commission indique que, quelles que soient les conclusions, « le caractère naturel de la zone concernée, aussi singulier soit-il (une décharge), ne saurait être substantiellement dégradé par sa réaffectation en centrale solaire ! ».

2. Pour rénover le quartier de la Chanaye, le projet municipal porte notamment sur la suppression du terrain de sport du quartier, pour y construire des logements, avec un stade réimplanté en dehors du quartier. Le commissaire pointe la distance entre le quartier et le futur stade, qui ne sera pas d’un accès aussi aisé que l’actuel, en particulier pour les jeunes. D’ailleurs si l’accès de l’actuel est libre, il n’en sera pas forcément de même pour le prochain, surtout s’il est en partie dédié au club de football américain délogé du stade de Flacé. Dans un élan de réhabilitation du quartier, en somme, c’est un accès aux loisirs, au sport, qui peut se trouver menacé.

3. Pour les projets de construction de logement sur l’actuel parking Monnier, trop grand selon la Ville de Mâcon, le Pôle Animation de la Direction départemental des archives et du patrimoine culturel, par la voix de Mme Isabelle Vernus, s’oppose à une hauteur de constructions prévue de 21 mètres, du fait de la proximité du centre ville. Le commissaire s’en remet à la bonne intelligence des parties pour envisager une hauteur maximale de 18 mètres, sans opposition formelle donc.

Les projets ont été votés au Conseil municipal de Mâcon, le 27 juin 2022, sans aucune prise en compte des remarques du commissaire enquêteur ! Dans la délibération passée au vote, le Maire estime que les recommandations « portent pour l’essentiel sur des éléments formels du projet de modification et visent à ajouter des éléments explicatifs complémentaires à la notice de présentation ». Difficile de voir là de la maladresse, ou du déni, on a davantage l’impression d’une fin de non-recevoir adressée au commissaire, sans estimer qu’il y a des remarques réelles et substantielles sur le fond des projets [6].

Une construction maladroite des projets

Il en va autrement pour la révision globale du PLU, qui a reçu un avis défavorable de la part de la commission d’enquête, à l’issue de l’enquête publique et des consultations diverses de services de l’État. L’enquête publique en elle-même a eu du succès, avec 150 contributions sur registres ou par courriers.

Plusieurs contributeurs ont regretté une concertation trop faible avec les habitants sur le PLU : peu de réunions publiques, peu d’échanges, peu de permanences. A ce sujet la Ville de Mâcon répond qu’elle a respecté la loi, ce qui est vrai. Elle ajoute même qu’il y a eu plus de permanences qu’ailleurs, et prend en exemple Valence où on n’a compté que 6 permanences, contre 10 à Mâcon pour l’enquête publique. La mairie de Mâcon oublie de préciser que la mairie de Valence a organisé plus de 40 réunions publiques sur deux ans, avec des enquêtes en ligne préalables au projet et à sa conception, pour, finalement, un avis favorable, avec trois réserves techniques et treize recommandations, sans rien de comparable avec les réserves lourdes et l’avis défavorable pour Mâcon [7]. Notons, pour enlever tout esprit partisan à cette comparaison, que le maire de Valence, Nicolas Daragon, est comme Jean-Patrick Courtois membre du parti Les Républicains.

Quand le 4 août 2022, la Ville de Mâcon réagit à cet avis défavorable, auprès du Journal de Saône-et-Loire, elle « prend acte » de cet avis, « qui n’est qu’un avis simple », une « position » qui sera étudiée par l’équipe municipale et les services de la ville. Maladresse dans la communication ? ou manière continuelle de se moquer d’avis contraires, aussi légitimes soient-ils ? Il n’est pas vrai, en tout cas, que l’avis de la commission est un avis simple. Cette assertion, de la part de la Ville de Mâcon, relève d’une forme de désinformation. Et l’on peut être sûr que si l’avis avait été favorable à la majorité, elle s’en serait gaussé !

Au niveau administratif et juridique, cet avis n’est pas un simple avis. En effet, son vote par le Conseil municipal, en l’état, peut déboucher sur une demande administrative d’annulation de cette délibération. Les recours juridiques contre le PLU et contre les projets de construction qui y sont liés auraient tous les moyens d’aboutir...

Les commissaires regrettent un projet qui ne prend pas en compte les communes limitrophes, les communes voisines, en particulier dans les analyses et les cartes présentées par la Ville de Mâcon. Plus globalement ils regrettent qu’il n’y ait pas de schéma global avant ce PLU, ou encore que Mâcon ne soit pas allé vers un « PLUi », à savoir un plan local d’urbanisme « intercommunal », ce que font aujourd’hui beaucoup d’agglomérations. La réponse de la Ville de Mâcon à l’article de L’indépendant mâconnais, que la rédaction a jugé utile de proposer comme contribution à l’enquête publique, est, à ce titre, intéressante : elle justifie son projet comme étant dans « la stratégie nationale de renforcement des villes moyennes afin de contrer la tendance marquée de périurbanisation caractérisant les trois décennies passées ». Alors que cette périurbanisation continue, il n’est pas compréhensible que Mâcon se soit passée de cette réflexion globale intercommunale dans son projet [8].

Le développement urbain de la ville souhaité par la majorité passe par une densification qui n’est pas du goût des commissaires, qui regrettent notamment l’absence d’îlots de fraîcheur dans le centre-ville, avec des espaces verts qui sont, comme nous l’avons remarqué dans le précédent numéro de notre magazine, réduits aux zones inondables dans lesquelles il n’est pas possible de construire [9]...

Les projections de la Ville de Mâcon pour le nombre de logements à construire, pour le nombre d’habitants à venir, n’est pas justifié, selon eux, il n’est pas cohérent, et c’est ainsi tout le projet qui perd en légitimité. La ville persiste toutefois, dans les réponses qu’elle donne aux avis, sans davantage justifier ses chiffres de manière claire.

En matière d’environnement, les commissaires regrettent un PLU qui ne soit pas en accord avec la perspective nationale d’un arrêt de l’artificialisation des sols à échéance 2050, passant par un ralentissement de l’artificialisation qui, dans le projet, n’est pas suffisant pour respecter la loi. La consommation de terres agricoles, en particulier, leur paraît trop importante. Ce d’autant que les arguments présentés pour cette artificialisation, ne sont pas justifiés. Il est également mis en avant, au sujet des dents creuses et des friches industrielles qu’on peut utiliser pour bâtir, le fait que la ville n’a pas fait les analyses suffisantes, ni les projections attendues, a. Quand l’autorité environnementale signe un avis particulièrement négatif, la Ville de Mâcon ne semble aucunement sourciller, elle persiste sans donner l’idée de fléchissements, d’évolutions, ce que regrettent les commissaires.

A la marge, à l’issue de l’enquête et avant l’avis des commissaires, la ville a tout de même proposé des concessions, des modifications pour le projet final, mais qui ne remettent pas en question la faiblesse du projet.

D’abord à Loché, la Ville de Mâcon annule son idée de déclasser des terres agricoles pour permettre la construction de logements, tandis qu’elle maintient son projet de zone économique. Ce petit recul sur Loché, en lien avec des habitants très mobilisés, peut être à comprendre comme la victoire d’un collectif de villageois construit, qui s’est mobilisé en nombre avec des contributions toutes très semblables, ne se préoccupant que du village de Loché. A l’échelle de la ville, ce recul à Loché paraît donc symbolique, avec un à deux hectares, soit 1 % de l’artificialisation prévue, un recul tout relatif ! Et ce symbole n’est pas forcément du goût des commissaires, qui voient une radicalité dans l’idée émise par la mairie d’arrêter la constructibilité à Loché. A contrario la construction ex nihilo d’une zone économique n’est pas vraiment justifiée selon eux.

Arrêter les projets de logement pour faire passer le projet de zone économique, ne serait-ce pas un peu gros ? Cela peut nous rappeler le discours de Benjamin Dirx, député de la majorité et conseiller municipal à Mâcon, qui lors de l’anniversaire des dix ans de la Cité de l’entreprise, le 9 juillet dernier, à Mâcon, s’exclamait : « Empêcher le développement du territoire avec des considérations comme la limitation de l’artificialisation des sols, ce n’est pas normal » [10], loin des règles législatives mises en valeur par son propre parti politique, donc, mais aussi loin d’une éthique élémentaire à la protection de l’environnement dont la fragilité lui a été pourtant rappelée tout l’été.

Notons que la mobilisation a été très importante aussi contre la continuation des constructions sur les Hauts de Chailloux, près de l’autoroute et de l’arboretum à Flacé, mais que la ville n’entend pas revenir en arrière, avec à ce sujet le soutien des commissaires pour le projet de logements, tout en souhaitant une meilleure étude des accès et soucis éventuels d’inondation. On note peu d’oppositions pour le quartier de La Chanaye, alors que l’artificialisation prévue des terres agricoles y est importante : nous sommes dans un quartier éclaté, sans grande identité, sans histoire, sans cachet, ce qui peut expliquer une forme d’indifférence citoyenne à son avenir.

Les rares contributions qui trouvent que la mairie défend trop l’environnement, quant à elles, sont bien prises en compte par la mairie, qui veut bien revoir à la baisse la protection de la petite Grosne et de l’Abîme, à l’issue de cette enquête publique… Sur l’Abîme, cela concerne un permis d’aménager qui a été donné en contradiction avec le projet de révision du PLU, récemment pourtant, une maladresse que ne manquent pas de flécher les commissaires, regrettant le recul de la ville, mais aussi le fait que le permis ait été délivré sans conditions. Notons toutefois un recul intéressant de la ville, à savoir l’idée de ne finalement pas classer en U (urbanisé) les zones N (naturelles) en fond de jardin vers l’Abîme, au lieu dit « La Fontaine », avec la crainte de participants à l’enquête publique que cela permette de nouvelles constructions au bord de la rivière.

Devant les nombreuses maladresses de la ville, devant les volontés peu légitimes d’un développement non durable, on peut entendre aussi que la commission ne fait pas confiance à la majorité : ainsi n’émet-elle pas d’avis favorable avec des réserves et recommandations, comme ce peut être parfois le cas, ainsi à Valence, mais elle estime à la fois que le projet est vraiment en-deçà de ce qu’on peut attendre, et qu’il est nécessaire que le nouveau projet soit soumis à une nouvelle procédure de consultation, afin que la mairie ne puisse pas faire passer sa révision sans travail de fond pour l’améliorer de manière conséquente.

Maladroite majorité ?

Sans doute y a-t-il, à la Ville de Mâcon comme partout, des fragilités, des incompétences, du vite-fait, mais on est jamais loin de la ruse, de l’astuce. Tant de maladresses posent question.

Mais en l’absence d’engagement citoyen d’ampleur, avec une presse locale qui ne brille pas par son objectivité, le maire a peut-être finalement toutes les raisons d’agir comme bon lui semble.

Malgré des alertes éparses sur cette politique municipale, il est difficile de voir une quelconque évolution, et ce sont les services de l’État qui en viennent à dire les choses, de manière claire, avec des mots durs. Encore faut-il que la population ait accès à ces avis, à ces informations, qu’elle les comprenne pour ce qu’ils sont. La majorité municipale est maladroite, mais elle est avant tout défavorable à l’application des lois de protection de l’environnement, défavorable à des actions majeures en matière de transition écologique, avec des difficultés réelles pour envisager correctement le passé, le présent et l’avenir au sujet de ses commerces, de ses voies de circulation, de sa politique culturelle, en particulier, voire de son économie, et ce n’est pas que de la maladresse.